L’intelligence collective en entreprise
Jean -Michel Cornu
L’entreprise a, à la fois une nécessité de productivité, mais également d’adaptabilité et de capacité d’innovation. Mais avec le développement de la taille de l’entreprise, il devient de plus en plus difficile de travailler de façon transverse pour bénéficier des expériences accumulées par les collaborateurs et des silos se développent.
Pire encore, lorsque qu’un projet doit sortir le plus rapidement possible sur le marché et que cela nécessite d’ajouter plus de ressources humaines,
on se heurte à une loi de rendement décroissant de la productivité : la « loi de Brooks[1] » qui peut s’énoncer ainsi : « ajouter des personnes à un projet en retard accroît son retard. » Il n’est pas facile de passer à l’échelle les projets et l’on arrive même souvent à des décisions absurdes, comme livre éponyme de Christian Morel[2] qui analyse en détail de grandes erreurs industrielles aux conséquences parfois incommensurables.
[1] Brook’s law https://en.wikipedia.org/wiki/Brooks%27s_law
[2] Christian Morel, les décisions absurdes I, Paris, Folio essais, 2014, 384p
Pourtant, dans des conditions particulières on constate une productivité croissante, plus d’idées innovantes ou encore des choix mieux adaptés lorsque l’on augmente le nombre de personnes engagées dans le processus. Une des premières observations d’intelligence collective, à l’inverse de ce qui est généralement constaté, a été faite en 1906 par le statisticien britannique Francis Galton.
à l’occasion d’un concours dans un marché de bétail où il s’agissait de deviner le poids d’un bœuf. Il constate alors avec surprise que la médiane des votes des participants (qui variaient énormément d’une personne à l’autre) donnait le poids exact du bœuf à une livre près, avec un résultat meilleur que celui des experts[1]. Cette expérience fut répliquée de nombreuses fois.
[1] James Surowiecki, The wisdom of crowds : why the many are smarter than the few and how collective wisdom shapes business, economics, society and nations, New York, Doubleday, 2004, 320 p
Depuis, la compréhension de l’intelligence collective s’est développée avec en particulier les travaux du philosophe français Pierre Levy[1], mais s’est heurtées aux limites cognitives humaines des fonctionnements collectifs. Ainsi l’anthropologue Robin Dunbar a constaté une limite en moyenne de 150 pour les groupes en étoile[2] (appelés « groupes panoptiques ») et pour les groupes en réseau (« groupes holoptiques »), cette limite est même de douze[3].
[1] Pierre Levy, L’Intelligence collective. Pour une anthropologie du cyberespace. Paris, La Découverte, 1994,
[2] R. I. M. Dunbar, Neocortex size as a constraint on group size in primates, Journal of Human Evolution, vol. 22, no 6, juin 1992, p. 469–493 (DOI 10.1016/0047-2484(92)90081-J).
[3] Jean-Michel Cornu, tirer bénéfice du don, pour soi, pour la société, pour l’économie, Limoge, FYP éditions et Institut Supérieur de Gestion, collection Stimulo, 2013, 96p – Voir le chapitre en ligne donner : une capacité naturelle, mais limitée : http://cornu.viabloga.com/news/donner-une-capacite-naturelle-mais-limitee
Il a fallu attendre le tout début des années 2000 et des progrès dans plusieurs sciences (neurosciences, sciences cognitives[1], anthropologie, psychologie sociale, théorie des réseaux[2], théorie des jeux en mathématiques[3]…), ainsi que de nombreuses expérimentations collectives dans le monde, pour que des méthodologies reproductibles se développent pour évaluer ensemble[4], produire ensemble[5] (avec des possibilités aujourd’hui pour faire coopérer jusqu’à plusieurs centaines de milliers de personnes[6]) et développer des débats en intelligence collective[7].
[1] G. A. Miller, The magical number seven, plus or minus two: Some limits on our capacity for processing information. Psychological Review, 63(2), 1956 p 81–97 (DOI 10.1145/142750.142751)
[2] W. C. Hill, J. D. Hollan, D. Wroblewski, T. Mc Candless, Edit wear and read wear. In P. Bauersfeld, J. Bennett et G. Lynch (dir.), Proceedings of the SIGCHI conference on Human factors in computing systems – CHI ’92 1992 p. 3–9. ACM Press. (DOI 10.1145/142750.142751)
[3] Voir en particulier le dilemme du prisonnier itératif : https://youtu.be/ocZRk49BRlE
[4] Les super-prévisionnistes : https://youtu.be/_v7qP37hoEY
[5] Les communautés de projets en réseau : https://youtu.be/OxIh1PJDQUA
Les différents niveaux d’implication et les activités pour les favoriser : https://youtu.be/iGUr0D6m3ZI
[6] Les écosystèmes de communautés : https://youtu.be/3fpUPqjcINk
[7] Passer à l’échelle les débats en intelligence collective : https://youtu.be/nnZSqUhTi98